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658 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'entretien et lai dire : « Quittons-nous ! Nous avons fait une folie. »

Des années passèrent sur cette rencontre sans effacer l'impression que Fournier en avait reçue; au contraire elle alla en s'approfondissant.

La jeune fille avait quitté Paris ; Fournier eut beaucoup de peine à retrouver sa trace ; et quand il y parvint, long- temps plus tard, ce fut pour apprendre, avec un immense désespoir, qu'elle était mariée.

Ayant suivi Aiain-Fournier depuis son adolescence jus- qu'à sa mort, je puis dire que cet événement si discret fut l'aventure capitale de sa vie et ce qui l'alimenta jusqu'au bout de ferveur, de tristesse et d'extase. Ses autres amours n'effacèrent jamais celui-là, ni même, je crois, n'intéres- sèrent jamais les mêmes parties de son âme. Il voyait tou- jours la parfaite jeune fille penchée sur lui ; il ne lui demandait pas de se caractériser ni de lui révéler ses diffé- rences ; il n'avait aucun besoin, dans le fond, de la con- naître au sens complexe et dangereux du mot ; il lui suffisait qu'elle fût impossible comme la vie ; elle non plus, n'était « peut-être pas tout à fait un être réel » : c'est par quoi, en le comblant d'amertume, elle le consolait aussi.

��II

��J'avais quitté Lakanal au mois de juillet 1905, ayant obtenu une bourse de licence en province. Fournier était allé passer ses vacances en Angleterre, puis était rentré au lycée pour une troisième année de « cagne ». Nous res- tâmes séparés pendant deux ans.

Mais de cette séparation naquit une énorme correspon- dance, qui me permet aujourd'hui de suivre rétrospec- tivement le développement de mon ami pendant cette période.

Ce fut, à coup sûr, une de celles où sa pensée fut le plus

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