ALAIN-FOURNIER 66 1
thisante... avec ses pardons pour ma fièvre, ses airs de connaître mon mal comme la lavande connaît les plaies, d'être accoutumée à moi comme je suis terrestrement accoutumé à sa compagnie \ »
Cette parenté avec les champs, que j'avais tout de suite sentie en lui, dont Jammes plus tard l'avait aidé à mieux prendre conscience, il commence à l'éprouver comme une incitation à créer. Elle prend un sens positif, actif; elle veut se développer et se dire.
Aussi comme il est hostile à tout ce qui pourrait le sépa- rer de sa terre et plus généralement du monde vivant, des êtres particuliers, de l'immense règne du concret ! J'ai déjà noté plus haut sa répugnance, sa résistance à tout effort critique et l'espèce de mauvaise humeur avec laquelle il repoussait mes tentatives pour emprisonner le réel dans des formules. Elles vont croissant.
Contre un ami à qui il s'était confié et qui avait cru lui faire plaisir en reconnaissant et en étiquetant chaque trait de lui-même qu'il lui révélait, Fournier se révolte : « C'est moi-même qu'il veut à toute force comprendre et même réfuter. Je suis loin, moi, d'avoir la même ambition à son égard \ »
Et en effet s'il écrit : «Le principal est évidemment mon horreur, ma frayeur d'être classé 3 », c'est vrai qu'il ne cherche jamais non plus à cerner, à classer, ni même à situer dans le plan intelligible, ni les autres, ni aucun aspect du monde : « J'ai le merveilleux pouvoir de sentir. Toutes choses ne m'ont été connues que par l'impres-
��i. Lettre du 3 septembre 1906. La dernière phrase est une allusion à un passage des Muses de Claudel.
2. Lettre du 17-19 février 1906.
3. Même lettre. Et ailleurs : « Tous ceux qui ont voulu s'occuper de ma vie m'ont froissé. » (Lettre du 9 novembre 1906). « Surtout il faut fuir ceux qui se prétendent vos amis, c'est-à-dire prétendent vous con- naître et vous explorent brutalement. » (Même lettre). « Qu'on me laisse ma cervelle à moi ! » (Lettre du 29 janvier 1906).
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