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LA PORTE ETROITE J $

paroles pour entendre à travers celles de Juliette tout ce qu'elle ne disait pas... Oh ! si seulement nous pouvions, nous penchant sur l'âme qu'on aime, voir en elle, comme en un miroir, quelle image nous y posons ! lire en autrui comme en nous-mêmes, mieux qu'en nous-mêmes ! Quelle tranquillité dans la tendresse ! Quelle sécurité dans l'action ! Quelle pureté dans l'amour !...

J'eus la fatuité de prendre pour un effet de mon mé- diocre lyrisme le trouble de Juliette. Elle cacha brusque- ment sa tête sur mon épaule :

— Jérôme ! Jérôme ! Je voudrais être sûre que tu la rendras heureuse ! Si par toi aussi elle devait souffrir, je crois que je te détesterais.

— Mais Juliette, m'écriai-je, l'embrassant et relevant son front, — je me détesterais moi-même. Si tu savais !... mais c'est pour mieux ne commencer qu'avec elle ma vie que je ne veux pas encore décider de ma carrière ; mais je suspens tout mon avenir après elle ! mais, tout ce que je pourrais être sans elle, je n'en veux pas...

— Qu'est-ce qu'elle dit lorsque tu lui parles de cela ?

— Mais je ne lui parle jamais de cela ! Jamais ; c'est aussi pour cela que nous ne nous fiançons pas encore ; jamais il n'est question de mariage entre nous, ni de ce que nous ferons ensuite. — O Juliette ! La vie avec elle m'apparaît tellement belle que je n'ose pas. . . comprends-tu cela ? que je n'ose pas lui en parler.

— Tu veux que le bonheur la surprenne.

— Non ; ce n'est pas cela. Mais j'ai peur... de lui faire peur, comprends-tu ?... J'ai peur que cet immense bonheur que j'entrevois, l'effraie ? — Un jour, je lui ai parlé de voyage ; je lui ai demandé si elle souhaitait

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