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86 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

projets, de mes études et de cette nouvelle forme de vie de laquelle je me promettais tant de profit. L'Ecole Normale n'était pas alors ce qu'elle est devenue depuis peu ; une discipline assez rigoureuse ne pesait qu'aux esprits indolents ou rétifs ; elle favorisait l'effort d'une volonté studieuse. Il me plaisait que cette habitude quasi monacale me préservât d'un monde qui, du reste, m'atti- rait peu et qu'il m'eût suffi qu'Alissa pu craindre pour m'apparaître haïssable aussitôt. Miss Ashburton gardait à Paris l'appartement qu'elle occupait d'abord avec ma mère. Ne connaissant guère qu'elle à Paris, Abel et moi passerions quelques heures de chaque dimanche auprès d'elle; chaque dimanche j'écrirais à Alissa et ne lui laisserais rien ignorer de ma vie. . .

Nous étions assis à présent sur le cadre des châssis ouverts qui laissaient déborder au hasard d'énormes tiges de concombres dont les derniers fruits étaient cueillis. Alissa m'écoutait, me questionnait ; jamais encore je n'avais senti sa tendresse plus attentive, ni son affection plus pressante. Crainte, souci, même le plus léger émoi s'évaporait dans son sourire, se résorbait dans cette intimité charmante comme les brumes dans le parfait azur du ciel.

Puis, sur un banc de la hêtraie où Juliette et Abel étaient venus nous rejoindre, nous occupâmes la fin du jour à relire le Triomphe du Temps de Swinburne, chacun de nous en lisant tour à tour une strophe. Le soir vint.

— Allons ! dit Alissa en m'embrassant, au moment de notre départ, plaisantant à demi, mais pourtant avec cet air de sœur aînée que peut-être ma conduite incon- sidérée l'invitait à prendre et qu'elle prenait volontiers — Promets-moi maintenant de n'être plus si romanesque désormais. —

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