Aller au contenu

Page:NRF 1909 10.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

286 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

histoire; les fenêtres ouvertes, les portes claquantes, la flagellation des rideaux, le balayage, le frottage, l'essuyage et ce qui s'ensuit ? Mais il ne voulait pas en prendre son parti. Quotidiennement il renouvelait ses plaintes et sortait à tout bout de champ de son cabinet, rien que pour déclarer la maison inhabitable.

Par exemple, le dernier samedi du mois, il prenait carrément la fuite, par manière de protestation suprême, et aussi parce que ce jour-là, son bureau n'était pas épargné dans la bagarre.

Personnellement je ne partageais point sa haine contre ces fameux " grands nettoyages " : ils m'intéressaient au contraire d'une façon prodigieuse. Incapable d'obéir aux prescriptions paternelles, j'inventais mille prétextes pour lâcher mes devoirs et assister aux exploits athléti- ques du brave Auternaud.

Le géant, frotteur de son état, qui dans ces occa- sions venait prêter main-forte à nos deux bonnes, répan- dait la senteur d'un troupeau de chèvres, mais quelle vigueur il y avait dans ses reins carrés, dans ses bras velus et dans ses pattes larges comme des assiettes ! Pour lui, les buffets les plus lourds ne pesaient pas davantage qu'un édredon. Et cela ne traînait pas ! En cinq minutes, le contenu d'une pièce disparaissait dans la pièce voisine, et le parquet s'étendait lisse et désert comme la surface d'une patinoire.

Au milieu de ce remue-ménage, ma mère coiffée d'un foulard d'où s'échappaient des mèches folles, allait, venait, dirigeait la stratégie, encourageait son monde, prêchait d'exemple. Dans le mortel combat qu'elle livrait à la poussière, sa bête noire, elle montrait autant de sang-

�� �