296 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
— En es-tu tout à fait sûr ? Tu trouves bien la maison humide, ce dont nul avant toi ne s'est avisé. J'ajoute que l'air de notre coteau a toujours passé pour excellent et, preuve que sa réputation n'est pas surfaite, tu n'as qu'à regarder Marcel... Vois ces couleurs, ajoutait-elle en me caressant le visage ; il est déjà méconnaissable.
Son Longval lui était sacré, et ce n'est pas moi qui l'eusse blâmée de le défendre pied à pied. Elle avait sur tous les points mille fois raison. Mon père rêvait.
En dépit des alarmes que m'occasionnait l'injustice paternelle envers Longval, notre villégiature s'écoula avec une rapidité prodigieuse, grâce à la société de mon ami Prosper, lequel venait presque chaque après-midi, sinon partager mes jeux, du moins m'imposer les siens. Aujourd'hui ses visites n'étaient plus, comme les années précédentes, accompagnées de quelque cérémonie. Il suffisait que j'apparusse dans le champ de sa vue pour qu'il se hâtât d'accourir. Par contre il arrivait rarement que je fusse convié chez lui. Mais je ne pensais pas à m'en offusquer, la prétentieuse Madame Davèzieux me causant autant d'effroi que son important mari.
Les Davèzieux laissaient volontiers se dépenser sur nos terres le vigoureux garçon qui dans ses ébats dévastait les plates-bandes de leur étroit jardinet. D'ailleurs Madame Davèzieux, qui semblait n'aimer ici-bas que sa chienne Criquette, ne pouvait souffrir les enfants, à commencer par son fîls " garnement bruyant, sauvage, brise-tout, odieux ". Elle n'avait pas assez d'épithètes péjoratives pour le qualifier. Aussi la détestais-je de tout mon coeur.
Evidemment Prosper avait ses défauts, ses " inconvé- nients ", comme disait mon père, lequel n'approuvait
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