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300 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Lui reprit, et d'une voix impatiente :

— Eh bien, oui ! Planter ! Je veux pouvoir me prome- ner à mon aise sans être vu.

— Tu n'y penses pas, répondit maman qui s'était enfin ressaisie. Les Davèzieux en feraient un aflfaire d'état.

— Ils en feront ce qu'ils voudront ! Charbonnier est maître chez lui !

Là dessus, il endossa son paletot léger, puis, avant de rebrousser chemin, il conclut, en détachant les syllabes :

— Tout est bien pesé. Ma résolution est irrévocable. Son air d'autorité farouche, la consternation de maman,

le long silence qui suivit, tout cela m'émut profondémen?. Et- puis, que signifiaient ces mots : " une affaire d'état," que je ne comprenais pas .? Le mystère dont ils étaient chargés me semblait singulièrement redoutable. J'eus l'impression très nette que l'heure était solennelle et que des événements capitaux se préparaient.

Je me suis souvent rappelé le trouble, fort dispropor- tionné à la situation, que j'avais alors éprouvé, et je ne puis mettre en doute la réalité des pressentiments. Un obscur instinct m'avertissait qu'à cette minute mon sort se décidait. Quelques arbres le long d'un mur, et la face du monde serait changée.

Une affaire d'état ! Je songeais aux conséquences immédiates et me demandais avec anxiété ce que Prosper penserait de cette plantation, qui allait, paraît-il, mettre ses parents et les miens aux prises. J'entendais justement- mon ami qui, au-dessus de nos têtes, lançait l'appel strident qu'il nommait son cri de guerre. Dans la con- joncture, ce cri me déchirait comme s'il eût marqué le signal des hostilités.

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