Page:NRF 1909 12.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

494 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

n'avais jamais senti d'aussi près son cœur. Maintenant que de semblables trahisons nous avaient porté les mêmes blessures, nous pourrions nous comprendre mieux. Mais, la plaignant profondément, je me tins toutefois à quatre pour ne pas lui sauter au cou, afin de la consoler un peu. Est-ce qu'on sait jamais avec les femmes ?

Cependant, les invités, obéissant à quelque mot d'ordre, se portaient en masse vers la tente et s'y engouffraient. M. de Chaberton affolé, et qui voulait être partout à la fois, courait de droite à gauche, en chien de berger, et pressait les retardataires. Il ne resta bientôt dans le parc que quelques personnes âgées qui craignaient sans doute de s'enfermer, vu la chaleur. M. Servonnet, lui, avait suivi la jeunesse de son petit pas alerte.

Rien ne paraissait devoir nous retenir à notre poste d'observation et cependant nous demeurions terrés dans notre trou, maintenus par un inexplicable attrait. Qu'at- tendions-nous, sinon un surcroît de chagrin ! Un long temps s'écoula. Par moments des rumeurs nous parvenaient, bruits de rires, d'applaudissements, échos des plaisirs cachés, puis succédaient de poignants silences.

Enfin, nombre de personnes reparurent. Les sons d'un piano annoncèrent le commencement d'une " sauterie ". Mais si la danse retenait les jeunes filles, elle ne faisait point le compte de certains garçons, lesquels, s'étant gavés au buffet, en sortaient la bouche encore pleine. Prosper, que j'avais tout à l'heure aperçu, empoté et morose, dépouilla la retenue dont il était excédé. Il organisa, avec une demi-douzaine de gaillards de sa trempe, une sorte de chasse au brigand. Le brigand, c'était lui, comme de juste. Il s'élança à travers la pelouse, poursuivi par une meute

�� �