Page:NRF 1909 12.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

5°° L A NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

croire bien sincèrement au mal avant d'en avoir griève- ment pâti. Aujourd'hui, par contre, il était prêt à voir des montagnes d'abomination dans les accidents les plus banaux de l'existence. Les volte-face, les inconséquences, les perfidies, les trahisons qui l'indignaient et le blessaient, ne méritaient pas tant d'honneur. Et ce n'était pas seule- ment l'avis de M. Servonnet qui se moquait de tout par sécheresse de cœur, mais aussi celui de maman de qui la pratique sagesse donnait toujours la note juste.

Au vrai, le cas de mon père était simple, et rien n'arrivait que de fatal. Les circonstances, les individus eussent-ils été différents, il n'en eût pas moins été voué à la défaite. Il n'était pas armé pour la vie sociale et le sentait si bien qu'il s'était toujours tenu à l'écart. L'héri- tage, qui, en le plaçant en évidence, l'avait mis en contact forcé avec le monde, ne pouvait lui occasionner que des déboires. Son premier geste de propriétaire avait été une maladresse. On ne va pas sortir ses droits à moins de posséder bec et ongles pour imposer le respect. Quand on veut se mêler d'avoir raison, il ne faut pas se montrer regardant sur le choix des moyens. Sa modestie, sa rectitude, son manque de souplesse, sa franchise, tout le desservait. Grognon et triste, il inspirait peu de sympa- thie. On n'aime guère, en outre, les gens qui dans une belle situation y semblent, comme lui, dépaysés. Enfin l'amitié de M. de Chaberton lui avait beaucoup nui. M. de Chaberton avait une telle façon de prôner les personnes dont il s'engouait qu'il les faisait immanqua- blement prendre en grippe ; il maniait comme personne le pavé de l'ours.

Pris entre un méchant comme M. Davèzieux et un

�� �