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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Nous rentrâmes. Le salon en effet était vide ; il ne restait dans l’antichambre auprès de l’arbre dépouillé, presque éteint, que ma tante et deux de ses enfants, mon oncle Bucolin, Miss Ashburton, le pasteur, mes cousines, et un assez ridicule personnage que j’avais vu causer longuement avec ma tante, mais que je ne reconnus qu’à ce moment pour le prétendant dont m’avait parlé Juliette. Plus grand, plus fort, plus coloré qu’aucun de nous, à peu près chauve, d’autre rang, d’autre milieu, d’autre race… il semblait se sentir étranger parmi nous ; il tirait et tordait nerveusement, sous une énorme moustache, un pinceau d’impériale grisonnante. — Le vestibule dont les portes restaient ouvertes n’était plus éclairé ; rentrés tous deux sans bruit, personne ne s’apercevait de notre présence. Un pressentiment affreux m’étreignit :

— Halte ! fît Abel en me saisissant par le bras.

Nous vîmes alors l’inconnu s’approcher de Juliette et prendre la main que celle-ci lui abandonna sans résistance, sans tourner vers lui son regard. La nuit se fermait dans mon cœur…

— Mais Abel, que se passe-t-il ? murmurai-je, comme si je ne comprenais pas encore, ou espérant que je comprenais mal.

— Parbleu ! La petite fait de la surenchère, dit-il d’une voix sifflante. — Elle ne veut pas rester en dessous de sa sœur. Pour sûr que les anges applaudissent là-haut !…

Mon oncle vint embrasser Juliette que Miss Ashburton et ma tante entouraient. Le pasteur Vautier s’approcha… Je fis un mouvement en avant. Alissa m’aperçut, courut à moi, frémissante :

— Mais Jérôme, cela ne se peut pas ! Mais elle ne