Page:NRF 1909 6.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LA CAPTIVE DES BORROMEES 515

ne pris point la peine de relever ces indécents propos : d'un coup d'œil, simplement, Délia et moi, nous nous témoi- gnâmes l'horreur qu'ils suscitaient en nos cœurs. Peu après du reste, nous atteignîmes la terrasse. Du haut de ce spacieux belvédère, on dominait la plus grande étendue du lac : si vif était l'éclat de la lumière dont cet après-midi était inondé que les rives lointaines apparais- saient au travers d'un sorte de vapeur dorée, fluide et transparente comme l'opale vue au jour. De hautes cimes fermaient l'horizon, on n'en distinguait que les lignes indécises, et moins la forme même que les couleurs légères, pâlies et fondantes. Un vieux pin touffu dans un coin de la plate-forme versait une ombre rafraîchissante. Ce fut là que nous nous installâmes sur des sièges de jonc qu'on avait apportés à notre intention. Je n'avais pas été sans redouter que l'humeur mordicante d'Ascanio ne gâtât le plaisir de ces instants que tout s'accordait à faire délicieux, mais l'insinuante volupté de l'air semblait avoir pénétré jusqu'à la coriace enveloppe du manchot. Etendu, les paupières mi-closes, il se taisait et ne prêtait qu'une oreille inattentive aux devis que sa maîtresse et moi ne cessions d'échanger. Une allégresse extraordinaire m'animait : le bonheur d'être auprès de Délia, la certitude que j'avais de mettre bientôt un terme à ses malheurs me remplis- saient d'un feu intérieur qu'il me fallait dépenser sur l'heure du mieux que je pouvais. Parfois tout soulevé hors de moi-même, je me levais, faisais quelques pas sur la terrasse ou bien j'allais longuement enfouir ma face dans le cœur large ouvert de ces belles roses pourpres et jaunes qui grimpaient aux balustres et montaient jusqu'à la hanche de bronze du Neptune qui, une conque à la

�� �