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388 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ces belles promenades dans le parc, nous ne rapportions plus l'odeur du tabac fumé en cachette, mais le parfum des petites Américaines. Etait-ce le géranium ou le réséda? C'était un parfum indéfinissable, un parfum qui faisait penser à des robes bleues et mauves, et blanches, et roses, à de grands chapeaux de paille souple ; et à des rouleaux et à des coquilles de cheveux noirs, et à des yeux noirs, tellement grands que le ciel doit s'y refléter tout entier.

Pilar n'était qu'une enfant ; elle avait ces doigts tou- jours tachés d'encre et ces coudes toujours écorchés, et ces grands gestes bêtes des fillettes de onze à treize ans. Mais la Fermina était une vraie, une grande jeune fille. C'est pour cela que son aspect avait pour nous quelque chose de si émouvant. Une jeune fille ! on voudrait battre des mains en la voyant ; on voudrait danser autour d'elle. Qu'est-ce donc qui la distingue à ce point d'une jeune femme ? Je regarde une jeune femme, une jeune mère entourée de ses enfants ; et elle me regarde à son tour, et elle me reconnaît : C'est ma main qui l'a attirée, et qui ne l'a plus lâchée que le baiser n'eût été reçu. Elle me regarde, et toutes ces images sont en elle : je suis un homme, pareil au père de ses enfants. Tandis que, pour la jeune fille, je suis un être inconnu, un pays étranger, un mystère. Un pauvre être inconnu, tout gauche et tout balbutiant devant elle ; un pitoyable mystère auquel un éclat de rire d'elle fait perdre toute contenance. Et pour- tant, nous nous connaissons un peu : lorsque la vie me laisse bien seul avec moi, je découvre en moi des aspira- tions et des sentiments de femme; et je ne doute pas que celles qui savent voir en elles-mêmes, n'aperçoivent,

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