UNE BELLE VUE 77
nous pénétrions, nous crûmes distinguer une rumeur musicale. Un même étonnement nous immobilisa, aux écoutes. Nous ne nous étions pas trompés. Accompagnée par le piano dont nous percevions confusément les sons grêles, une voix de femme s'élevait, une voix admirable aux accents douloureux et passionnés. Ah ! cet hymne de désespoir, quelle émotion me serra la gorge à l'entendre ! Il était comme l'exhalaison naturelle de ce domaine, habité par l'amour, le deuil et la solitude.
Mes parents s'étaient regardés du coin de l'oeil ; ils paraissaient un peu troublés. Ils se rappelaient, qui sait ? l'ancienne maîtresse de chant.
Maman qui, jeune fille, avait fait de la musique, remarqua pour rompre les chiens :
— C'est du Schubert, je crois...
Et, poursuivant notre chemin, nous atteignîmes le manoir. Il se présentait de biais, construit en pierres grises, couvert de tuiles, et flanqué d'une grosse tour qui disparaissait sous un manteau de lierre. Il était fort délabré, et des plus anciens, à en juger par les fenêtres à meneau qui donnaient quelque intérêt à sa façade lourde et basse.
Une fillette que je reconnus bien passa en courant et s'engouffra dans la maison. La voix de la chanteuse se tut brusquement, puis madame Tourneur parut et s'avança à notre rencontre.
Il n'y eut de part et d'autre ni surprise, ni gêne. Pas un mot ne fut prononcé qui eût averti un étranger que ces dames se rencontraient pour la première fois. Elles furent tout de suite ensemble comme si elles s'étaient toujours connues. Madame Tourneur était aussi simple, aussi
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