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164 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

légendes. " Ces fables, légendes, paraboles, dit l'auteur, son simplement des reconstructions de ce qui m'a fait impression comme étant le plus fantastiquement beau dans la littérature la plus exotique que j'aie pu trouver. Cette petite collection n'a donc aucun droit à la considération des savants ; c'est simplement un moyen de faire partager au public certaines joies nouvelles que j'ai ressenties en essayant de me familiari- ser avec différentes littératures très belles et très étranges."

Si son esprit est tant soit peu gouverné par les méthodes érudites, le lecteur s'irritera de ne pouvoir discerner dans ces contes, souvent fort beaux, l'apport du texte ancien et celui du conteur. Quelque plaisir que nous prenions à un récit, les moins ethnographes d'entre nous ne peuvent pourtant s'em- pêcher de le relier à ce qu'ils connaissent de l'art et de la littérature du peuple en question. Il s'agit de couleur et notre imagination n'est pas une page blanche. Si l'on nous conte une légende mahorie, nous ne saurions borner notre pensée à l'anecdote même. Ces imaginations fantastiques ont hanté les douces et belles figures que Stevenson et Gauguin nous ont rendues familières. Nous ne demandons pas que le récit nous soit littéralement rapporté, mais que la tonalité en soit juste. Nous sommes reconnaissants à l'auteur si du fatras qui remplit le Talmud ou le Mahabarata il a su dégager quelques histoires et, de diffuses qu'elles étaient, les rendre lisibles ; mais encore exigeons-nous que pour nous donner un plaisir "plus exotique" il ne brouille pas ce que nous aimons déjà des traditions juives ou indoues.

Ce qui nous gêne peut-être surtout, c'est que nous n'avons pas accoutumé de voir en Lafcadio Hearn l'imagination gratuite, la recherche du rare et du singulier. Il est presque seul à nous renseigner sur le Japon, et nous considérons volontiers ses livres comme des documents. Il nous plaît de pouvoir nous y fier et rien n'est si suspect que le goût de la couleur pour elle-même. — Sachons pourtant faire taire notre méfiance, tant que rien ne la légitimera et goûtons sans arrière pensée ces beaux récits de sortilèges et de magie.

J. S.

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