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l88 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qui sait lire : l'instinct de la valeur sensuelle des mots, selon leur place dans la phrase, une voix non pas faite pour convaincre ni exalter, mais pour chanter, aimer, séduire... Oui, même cruel, le tendre Racine ! D'une tendresse qui n'a rien de chrétien, d'une tendresse synonyme de caresse, toute pétrie de sensualité...

Caresse du langage, voilà son don premier, personnel et irréductible : il s'affinera sans cesse ; jamais il ne sera vaincu. A peine si, dans la Thé- baïde, une rhétorique empruntée (à Corneille, à Rotrou) le submergera au passage. Dès Alexandre y à plus forte raison dans Andromaque, nous en reconnaissons le veloutement singulier : duvet de fleur, la fleur de l'âme de Racine, si sèche et dure qu'elle soit par ailleurs. Aussi bien, quelque pas- sion qu'épousent ses personnages, ils ne se dépouilleront jamais complètement de ce charme. Il oindra toutes les tragédies comme d'une huile parfumée; il amollira la flexion des vers les plus furieusement contractés. Nous pouvons nous trom- per sur les intentions de Racine, non sur le timbre de sa voix. Ce n'est pas la voix d'un rhéteur ; tout le contraire : d'un poète. Elle révèle une sensibilité poétique de restreinte envergure, sans doute, mais de la plus exquise et de la plus profonde qualité. — Or, songez que la tragédie, au temps où l'aborde Racine, vit d'éloquence !

Désigné comme aucun pour chanter sa ten-

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