Page:NRF 5.djvu/318

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

312 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Isabelle de Saint-Auréol. Seule parmi les costumes sombres, elle était vêtue tout en blanc. D'abord elle m'apparut charmante, assez semblable à ce que la mon- trait le médaillon ; mais au bout d'un instant j'étais frappé par l'immobilité de ses traits, la fixité de son regard, et soudain je comprenais ce que l'on se chuchotait à l'oreille: ce n'était pas là la véritable Isabelle, mais une poupée à sa ressemblance qu'on mettait à sa place durant l'ab- sence de la vraie. Cette poupée à présent me parais- sait affreuse ; j'étais gêné jusqu'à l'angoisse par son air de prétentieuse stupidité ; on l'eût dite immobile, mais, tandis que je la regardais fixement, je la voyais

lentement pencher de côté, pencher elle allait

chavirer, quand Mademoiselle Olympe, s'élançant de l'autre extrémité du salon, se courba jusqu'à terre, souleva la housse du fauteuil et remonta je ne sais quel rouage qui faisait un grincement bizarre et remettait le mannequin d'aplomb en communiquant à ses bras une grotesque gesticulation d'automate. Puis chacun se leva, l'heure étant sonnée du couvre-feu ; on allait laisser la fausse Isabelle là seule ; en partant chacun la saluait à la turque, excepté le baron qui s'approcha d'elle irrévéren- cieusement, lui saisit à pleine main la perruque et lui appliqua sur le sinciput deux gros baisers sonores en rigo- lant. Dès que la société avait achevé de déserter le salon — et j'avais vu sortir une foule — dès que l'obscurité s'était faite, je voyais, oui dans l'obscurité je voyais la poupée pâlir, frémir et prendre vie. Elle se soulevait lentement, et c'était Mademoiselle de Saint-Auréol elle- même; elle glissait à moi sans bruit; tout à coup je sentais autour de mon cou ses bras tièdes, et je me

�� �