Page:NRF 5.djvu/374

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

368 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

moiselle, au lieu de l'appeler Madame. Elle était très bonne, et un jour qu'elle n'avait plus qu'une chemise elle l'avait quittée pour la prêter à une amie qui devait aller coucher avec un monsieur. Elle était très intelligente et très délicate. La i'® fois que je lui montrai les 4 platanes dont j'ai parlé dans YEnclos, elle m'avait dit : Ça fera de belles planches quand on les aura abattus, réponse qui m'avait vexé. Or, depuis, en deux ou trois séances je lui ai fait comprendre la beauté d'une chose et d'un paysage indépendamment de son utilité, si bien que le soir quand j'allais la conduire chez elle, elle me disait de jolies vérités belles sur la nuit, sur la Seine nocturne, sur les feux, sur le ciel, sur l'air et sur la bonté. J'aurais voulu l'élever jusqu'à moi, lui donner une belle âme de peuple. Elle était fleuriste et très bonne ouvrière. Fleuriste, c'est un métier idéal dans lequel on met beaucoup de goût. En peu de temps, je t'assure que j'aurais développé ses sentiments jusqu'à en faire des sentiments très nets, très purs et très délicats. Je lui aurais fait aimer la vie merveilleuse de ceux qui travaillent. J'en aurais fait une petite fille ingénue et profonde. Et j'ai peur qu'elle soit morte. Au fait, si elle était vivante et qu'elle guérit, il est parfaitement possible que je me détache d'elle immédiatement, à notre première entrevue. Mais si elle était morte, toute ma vie serait marquée de cette mort.

�� �