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74° LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

rêves d'apostolat que j'avais caressés dans mon adolescence me revinrent avec plus de force et de précision. Je demandai à mon évêque s'il ne lui serait pas possible de me pro- poser à quelque mission. Évangéliser des gens de couleur jaune ou noire, me semblait le dernier mot de l'ascétisme. L'évêque me fît venir : " Mon cher fils, me dit-il, je ne sais si vous avez bien réfléchi à ce que vous demandez là. Je crois que vous n'avez pas très bien compris tout le parti que vous pouvez tirer de votre situation actuelle pour votre amendement moral. Ce que vous souhaitez a quelque chose d'héroïque certes, mais dont le côté roma- nesque vous leurre vous-même. Enfin, vous paraissez décidé. Je ne veux pas contrarier votre vocation. Mais peut-être comprendrez-vous plus tard que l'évangélisation de certaines peuplades considérées à tort comme moins barbares, comporte moins d'exaltation que de renonce- ment."

C'est pourquoi cet homme de trop d'esprit me donna, quelques semaines plus tard, la cure d'Opio. Sur six ans de séjour, je connus une journée de bonheur ou, plus exactement, une soirée : celle de mon arrivée. C'était au milieu du printemps. Le marronnier de la place semblait un immense candélabre mystique, allumé de toutes ses hampes de flamme rose. Quelques jeunes filles en couleurs claires se promenaient sur la terrasse, et le crépuscule les teintait de rose, elles aussi, du même rose que les thyrses du marronnier. Il faisait le plus majestueux, le plus paisible silence. Je visitai mon église. Le soleil couchant allumait dans mes pauvres vitraux un éblouissement de rosace gothique. Je me mis à genoux devant l'autel où j'aurais l'honneur, le lendemain matin, d'oflFrir le corps

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