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248 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

On a fait grief à Niou de son étrangeté... J'attendais au contraire de M. H. R. Lenormand, écrivain fort cultivé, qu'il nous révélât de l'actuelle dramaturgie russe un échantillon plus insolite, plus original du moins et pour nous plus instruc- tif. La pièce représentée par le théâtre des Arts n'est pas une œuvre d'avant garde : elle ne nous ouvre pas d'horizon sur le théâtre de l'avenir ; elle nous ramène en arrière. M. Ossip Dymof est un jeune et, nous dit-on, l'un des plus notoires de sa génération, avec Léonide Andreiev. Il en faut conclure (nous nous en étions avisés déjà lorsque La Vie d'un Homme fut représentée à Paris) que cette génération subit encore des influences que nous considérons, ici, comme périmées, et dont nous tendons de plus en plus à nous affranchir.

L'influence réaliste est nettement marquée dans Niou par un souci constant d'imiter la vie d'aussi près que possible, en réaction apparente contre toute théâtralité : par un parti-pris de n'emprunter qu'aux incidents les plus quotidiens les res- sources de la péripétie. Orienter les faits, accuser une situation ou préciser un caractère, — composer enfin : ce serait, en quelque sorte, une intrusion personnelle dont l'auteur entend se garder comme d'un attentat à la vérité, ou mieux : à la vraisemblance. Développement ou liaison, toute invention lui parait artifice. Il veille rigoureusement à ce que le rideau tombe au moment où le dialogue cesserait d'être un strict procès-verbal des émotions, où la scène aurait à prendre forme. Car il s'impose de conserver à la vie, en la faisant passer sur le théâtre, ce qu'elle a de fragmentaire, d'indéfini, d'inachevé et partant de mystérieux. Il ne permet à ses per- sonnages de se connaître et de s'exprimer que dans la mesure où ils peuvent le faire normalement, spontanément, n'étant servis par la clairvoyance d'un auteur ni pressés par son inter- rogation. Bien plus : on dirait qu'il ne cherche pas à les connaître, à les pénétrer au-delà de ces sommaires propos qu'ils échangent. Il les évite. Il se dérobe à son sujet. Il nous le dérobe à nous-mêmes. Et ce drame, qu'il ne conduit pas mais tâche à reconstituer tel qu'il a pu se produire dans la réalité, se manifeste au spectateur fortuitement, comme par

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