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Page:NRF 6.djvu/41

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RAINER MARIA RILKE 35

trop difficile pour nous et qu'il faut le remettre jusqu'à ce que nous ayons fourni la longue étape qui nous sépare de Lui." La solitude, l'état mal défendu où il se trouve, provoquent en lui un déclenchement de ses forces réceptives tel que les digues de son individualité fléchissent, qu'il est envahi par le dehors, chassé hors de son cœur trop consentant, par une vie parasitaire qui se nour- rit de sa substance, et s'épanouit en monstrueuses floraisons.

" Aile Dinge an die ich mich gebe, werden reich und geben mich aus ".

" Toutes les choses auxquelles je me donne s'enrichissent et me dépensent ".

Un pan de mur d'une maison démolie où sub- sistent quelques traces des existences qui croupi- rent à son abri, un infirme rencontré dans la rue, si peu que le bruit dans la chambre voisine d'un couvercle qui se détache de sa boîte et va rouler par terre, les manifestations extérieures les plus diverses et les plus infimes, l'incitent à une dis- traction totale de lui-même, l'engloutissent comme une proie. Il s'est aventuré hors des routes du raisonnement, dans des fourrés où la vie est trop épaisse.

Ne laisser subsister les choses que dans le sen- sible, ne faire sur elles aucun travail d'abstraction, n'est-ce pas leur octroyer une puissance redoutable qui augmente singulièrement les chances et les risques de la vie ?

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