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Page:NRF 6.djvu/594

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Mais à présent, me voici fort vieilli et fort désabusé. J’ai reporté mes dernières espérances sur Allah, Il voudra bien, j’y compte, convenir d’une inconséquence : au lieu de m’aider à franchir les écueils dont il lui plut de parsemer ma route, il négligea de me douer d’une volonté inaccessible aux paniques du Désir. Par conséquent j’estime qu’il aura, dans sa souveraine justice, à me décharger d’une partie du poids de mes péchés. Mon décisif et périlleux voyage au-dessus de l’abîme en sera facilité d’autant.

Ceci dit, je vais vous raconter une aventure d’amour où je n’ai pas, il s’en faut, joué le plus beau rôle. Dans ma paternelle prévoyance, j’en dédie le récit à mon fils, car il a quinze ans, et le désir de la femme s’est allumé déjà dans ses yeux sournois et curieux.

D’une imagination de vingt ans, d’un signor

italien et de la facilité avec laquelle on se lie au

cours d’une traversée en mer.

Le vilayet de Tripoli avait à cette époque des attraits irrésistibles pour ma curiosité. Mon imagination se le représentait en vrai nid à pirates. Les galères barbaresques, au retour de leurs fructueuses expéditions, battaient de cent rames l’eau d’un port dominé par des remparts garnis de couleuvrines. Tour à tour, les vaisseaux accostaient aux jetées ; là, turbans, moustaches et yatagans abondaient. Curieux, brigands hérissés de pistolets, marchands aux doigts crochus, au nez ridicule et menaçant, pachas à la molle bedaine, se pressaient, se battaient, s’entassaient sur les étroites plateformes. Des nefs, on arrachait, à grand renfort de bras musclés, les captives