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travail de Dostoïevski épouse celui de la vie même, et se recommence avec elle, chaque matin. À chaque rencontre, il déchiffre à neuf l’homme tout entier. Et à mesure qu’il avance dans son œuvre, il est plus ingénu, plus grave et plus soucieux. C’est que la vie, pour lui, se fait de plus en plus vivante, et de plus en plus inconnue.

Un Suarès ne redoute pas d’affronter Dostoïevski. Il l’aime et le connaît tout entier. Il le devine par de secrètes affinités. Ses excès, ses fureurs et ses débordements, il en a reçu confidence, et nous en fait confession. Cette émotion créatrice, qui est « la seule et véritable connaissance, » non seulement il s’emploie à la décrire : il en est lui-même possédé. Elle circule à travers les pages, où Suarès, en s’emparant de Dostoïevski, reproduit la démarche et les mouvements mêmes qui vont mettre Dostoïevski en possession d’un monde.

D'abord : la grande acceptation humaine, par laquelle il faut commencer pour se déprendre de soi, cesser de se préférer, rompre « cet enlacis mortel, »[1] aller au devant de tout. L’amour total. La dévotion totale. Elle n’est pas seulement passive. Elle engage tout l’être, avec toutes les forces de sa volonté, tous les « recreusements » de sa force.

  1. Shakespeare.