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de moment en moment, à la création universelle. C’est pourquoi il se déteste, en vain, lui-même à l’infini… Tous les crimes pourront hanter son âme : elle ne saurait rien perdre de sa pure volonté, qui est de ne pas nuire, ni de sa primitive convoitise, qui est l’innocence, après tout. Elle n’aspire qu’à saisir l’objet vivant, à l’adorer en lui-même, à le posséder jusqu’à le détruire. Enfin, je dirai qu’elle veut le tuer, cet objet d’amour, pour le recréer ensuite aux dépens de sa propre vie. »

Attrait si irrésistible, aspiration si tragique, que Suarès croit discerner, dans le mal de Dostoïevski, le symptôme de sa vocation ; et qu’il ne craint pas de comparer « la marche de l’épileptique vers la crise, au mouvement de Dostoïevski vers la profondeur. »

Je prie qu’on ne veuille entendre, ici, rien d’allégorique, ou de forcé. En vérité, l’entreprise du romancier Dostoïevski est sans aucune ressemblance au commun jeu littéraire. Elle obéit à un « don fatal », où l’émotion du sang a sa part. Celui qui en fut marqué ne peut plus répondre de soi. Il est dénaturé. Je veux dire qu’il a cessé d’être lui-même, qu’il rapportera toutes ses actions à une exigence dont il est seul à connaître l’implacable commandement, et qu’enfin des devoirs étranges, incompréhensibles, lui sont désormais imposés. Tout l’engage, et bien au-delà des attachements