NOTES 7^1
de guerre une réalité surprenante ; et la présence de la mort leur confère une grandeur unique.
Pour ce choix du détail réel — mieux encore : pour la modestie du récit, pour sa soumission parfaite à l'importance de ce qu'il faut raconter, nous mettons hors de pair l'article de M. Jean Rodes, qui se trouva dans une gare, en pleine déroute russe, après Moukden. Imaginez un homme perdu dans une foule elle-même perdue. Toute la détresse, tout le désarroi humains s'écoulent à sa droite et à sa gauche. A peine comprend-il ce qui se passe, d'où vient et où s'en va ce torrent de vaincus. Mais il y a des remous qu'il peut, une seconde, le temps qu'ils se défassent, regarder. Il y a des têtes qui se lèvent, qu'il aperçoit et que tout de suite le flot emporte. Et il note, au hasard, guidé seulement par le choix obscur de son cœur... Ce qu'il a noté ne s'oublie pas :
C^est un tourbillon de carrioles de mercantis, de charrettes chinoises^ de voitures régimentaires et de groupes nombreux de cavatters avec des chevaux de main. Sur les flancs de cette colonne en déroute^ par bandes éparpillées j des soldats sans chefs suivent, harassés, noirs de poussière. Certains poussent du bétail devant eux. D^ autres vont seuls, à bout de souffle, semblant dormir en marchant. Il y a sur eux une telle détresse animale de t>auvres êtres épuisés et perdus que f en ai mal au coeur...
... Beaucoup ont été atteints à la tête. Le visage de certains, qui se sont trouvés sous les shrapnels, n'est plus qiiune plaie. Il y en a qu^on vient de panser et qui ont, sur la face, un masque épais de ouate, dans laquelle on a pratiqué des trous pour les yeux et la bouche...
(La nuit). J^ ouvre la porte et /aperçois le long du train, entre les rails, partout, de petits tas sombres, des hommes ramassés en boule, pantelants, en train de mourir. Celui auquel la douleur arrache ce cri horrible agonise sous une couverture, au pied même de notre wagon...
... Devant le bâtiment principal se trouve une rangée de civières
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