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CHRONIQUE DE CAERDAL 847

ce qu'il peint. Jamais je ne me sens moins du Midi qu'avec lui, comme jamais moins du Nord qu'avec Rubens.

Ici, l'on voit qu'il est un don supérieur à tous les dons, et que le peintre seul ne fait pas un grand artiste : il y faut le poète. Nul ne peint comme cet homme là. Il n'y a ni difficulté, ni obstacle pour lui. Rien ne l'arrête : il est propre à peindre un mur de cent mètres et un portrait, une église entière et une salle de bains, une bataille et un vase de fleurs. Il est égal à toutes les entre- prises. Mais il peut aussi peindre à miracle ce qui ne vaut pas la peine d'être vu. Tout lui est appa- rence, et il ne va jamais plus loin que l'apparence. Il s'amuse fastueusement de tout. Le luxe est son empire. En tout, il ne connaît que des fêtes ; et même moins : le spectacle. Que la joie est donc peu féconde ! Et combien son domaine est mince : quand il couvrirait tout l'espace de la terre, ce n'est jamais qu'une peau ; elle ne supporte que le plus léger labour. Et, d'ailleurs, Véronèse n'a pas tant de joie qu'on pense : toutes ses fêtes sont publiques. Et qu'est-ce qu'une joie qui ne se cache pas, qui ne cherche pas l'ombre ? Elle n'est point du cœur, ni de l'esprit, cette joie indiscrète. \éronèse lance sur les murailles le troupeau de ses patriciens : car un tas de princes, c'est toujours un troupeau. Ils sont tous de brocart, comme toutes ces femmes sont trop charnues et trop grasses.

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