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JULIETTE LA JOLIE 97

Ils entrèrent dans le seul hôtel qui existât près du lac. Une fenêtre donnait sur le déversoir maçonné au fond d'un ravin planté d'arbres. Huit heures sonnaient à l'horloge accrochée au mur. La grande table n'était pas encore desservie de la veille. Des serviettes nouées étaient éparpillées sur la nappe tachée de vin, de sauces. Ils s'instal- lèrent à une table plus petite, près de la fenêtre. On y pouvait tenir quatre, en se touchant les coudes et les pieds. Ils mangèrent comme quatre qu'ils étaient ; Cougny but à lui seul un litre de vin blanc.

Il se souvenait d'être venu ici quinze ans auparavant, avec sa première femme, et de s'y être ennuyé pour son argent. Toute la journée, suivant son habitude, elle avait été indifiFérente, même maussade. Elle ne l'avait empêché ni de manger ni de boire, mais quel plaisir d'être à table à côté de quelqu'un qui fait le signe de la croix en s'asseyant, qui se verse plus d'eau que de vin et grignote du bout des dents un peu de viande froide ?

Aujourd'hui c'était différent. Ponceau se chargeait de lui rendre raison, Marcelle et Juliette bavardaient joliment. Il songeait avec mélancolie à toutes les années qu'il avait dû gâcher dans l'austérité près de cette femme qui ne voyait que le travail et la prière. Il avait dépassé la soixantaine mais se faisait fort de rattraper le temps perdu. Il dit :

— En route, mauvaise troupe !

Ils allèrent se promener. Il n'y avait plus de rosée sur l'herbe. Par le chemin de ronde ils suivirent les bords du lac, tantôt passant sous de grosses branches de sapins, tantôt marchant en plein air, à la file indienne,

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