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1032 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ruisseau déverse dans l'arroyo des détritus et de l'eau sale, un sampan est à l'amarre.

Ce sampan, la nuit durant, semble brûler de même qu'un gros et merveilleux brûle-parfums. Il est si vieux que les fibres de son bois peuvent se compter et il a au flanc tribord un large trou où niche un hibou. Tout le jour l'oiseau est immobile dans sa demeure, les yeux fixes, ébloui ; mais, du crépuscule à l'aurore, ces yeux brillent : ainsi deux gros diamants lumineux sont incrus- tés dans la nef.

Du fond du Sampan un nuage de fumée d'opium, toute bleue, d'un bleu tirant sur le violet, monte lentement vers les étoiles : cette fumée s'élève doucement, épaisse tout d'abord, puis elle enfume tout le plafond du ciel, peu à peu, à mesure qu'elle déteint sur le clair de lune.

La porte de Fo-Chi est toujours close ; cependant celui-ci l'ouvre de temps à autre et s'attarde à son seuil. C'est un grand vieillard, le nez chevauché de besicles aux verres immenses cerclés d'écaillé. Ces verres sont toujours faussés de reflets blancs ; ainsi les yeux sont invisibles et cela est gênant infiniment lorsque Fo-Chi vous parle : on sent qu'il vous regarde fixement.

Pour accéder à sa blanchisserie il faut suivre un long couloir, puis traverser un jardin exigu, accoté à une prison. Sur le couloir ouvre une pièce où des gens fument l'opium. Là, de même que sur la jonque, il y a un prodi- gieux nuage bleu ; celui-ci pèse sur une rangée de pieds chaussés de mules à semelles de feutre. Les petites lueurs jaunes des lampes de fumerie brillent çà et là, flammes fixes et qu'étouffe la fumée ; elles semblent lointaines, lointaines

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