RÉFLEXIONS SUR LE ROMAN 233
exceptionnelle et précaire. Elle appartient à un autre genre, à un autre ordre.
Si l'œuvre composée, équilibrée, à la française, que M. Bourget oppose aux romans désordonnés de Tolstoï, était en effet la perfection du roman, comment expliquer que notre époque classique, lorsqu'elle a cultivé le roman, ait tourné si délibé- rément le dos à cette perfection ? M. Bourget cite le mot de Melchior de Vogue sur Guerre et Paix : " Guerre et Paix n'est pas un roman, c'est une Somme^ la somme des observations de l'auteur sur tout le spectacle humain. " Une Somme, le mot est profond, mais précisément n'est-ce pas pour cela qu'elle est un roman ?
Nos deux siècles classiques ont, au fond, eux aussi, considéré le roman non comme une œuvre harmonieuse, équilibrée, composée et compensée, mais comme une Somme. On connaît les lendemains du Ci^. Quels sont ceux de la Princesse de Clèves ? Le Grand Cyrus et la Ciélie sont des Sommes comme le roman de Rabelais, des sommes de la vie pré- cieuse et de l'analyse sentimentale. Et lorsqu'au XVIIP siècle survient une renaissance du roman, que sont toutes ses œuvres, sinon des Sommes ? C'est une Somme d'événements que le roman de Lesage ; où est la composition serrée dans Gil Blas et le Diable Boiteux, sinon à l'intérieur de chaque épisode ? C'est une Somme que les romans de Voltaire, malgré leur courte étendue : Candide et
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