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LA CONQUE d'or T.'J

parle et commande, sous l'exultation de cette messe triomphale. Puisqu'il faut que je vive, eh bien ! je ne veux laisser s'introduire en moi aucun principe destructeur, je ne veux pas consen- tir à la moindre diminution d'énergie.

J'abandonne mes compagnons, et j'erre au hasard dans les rues de la petite bourgade monta- gnarde. Le ciel est tissé d'une pluie tiède, menue, qui communique aux vergers un éclat inexprimable. La vallée est un gouffre toufi^u, translucide et perlé, sur lequel on se penche avec amour. Rien, dans ce lieu béni, ne choque les yeux ni l'esprit. Tout y est caresse ; tout respire une fraîcheur exquise et souriante, ou bien une vétusté velou- tée, moussue, une humble délicatesse qui vous tire des larmes. Que la pluie sur la montagne est chose presque divine ! Il me souvient d'un jour de mes dix-sept ans, ou, encore une après-midi d'août, j'allais rejoindre, par le chemin d'Ax à Orlu, un ami cher entre tous. L'ondée ridait les pentes boisées, une fumée légère couronnait les hauteurs. L'air sentait la poussière humide et le foin mouillé. L'Ariège, argentée et verte, roulait entre d'abruptes pentes d'acacias et de mélèzes. Les champs de sarrasin et de maïs, les hêtres, les sapins des cimes, tout riait de bien-être. J'avais dans la poche de mon vêtement un volume de Banville, et cette poésie étincelante, ailée, m'accom- pagnait en marchant. Quand il pleuvait trop fort,

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