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Page:NRF 8.djvu/369

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NOTES 3^3

auxquelles Rousseau et les romantiques restituèrent leur part. C'est un siècle d'abstraction. Pour un Saint-Simon qui s'attache à l'apparence individuelle des êtres, à leurs grimaces, à leurs tics même, tous les grands créateurs de ce temps, un Racine, un Molière, un Lafontaine, s'arrêtent surtout à leur aspect sem- blable, commun. C'est le procédé de la science.

En réalité, si l'on va au fond de cette opposition prétendue entre la culture classique et les exigences de notre âge scienti- fique, ce qu'on découvre, c'est une sorte d'impatience secrète de notre civilisation matérialiste, pressée de s'enrichir et de jouir, contre les nécessités de la culture. La culture est œuvre lente et de maturation. On ne force pas l'esprit, il ne donne tous ses fruits que dans la liberté, je veux dire dans ce travail non hâtif, sans dessein et sans utilité apparents, auquel il faut réserver le beau nom de loisir. Or le loisir, même ainsi entendu, a bien perdu de son prestige. Un jeune français de ce temps goûterait-il cette page harmonieuse de Plutarque sur Archimède (dans la traduction d'Amyot) ? " Archimède a eu le cœur si haut et l'entendement si profond qu'il ne daigna jamais laisser par écrit aucune œuvre de la manière de dresser toutes ces machines de guerre pour lesquelles il acquit gloire et renommée ; mais, réputant toute cette science d'inventer et composer machines, et généralement tout art qui apporte quelque utilité à la mettre en usage, vile, basse et mercenaire, il employa son espoir et son étude à écrire seulement des choses dont la beauté et subtiTtté ne fût aucunement mêlée avec la nécessitée Cet aristocratisme hautain, qui ne connaît d'effort noble que celui de l'esprit, fera sourire peut-être un jeune utilitaire. Il exprime cependant assez fortement la nature essentielle de la science : une harmonie

îe la pensée beaucoup plus qu'un pouvoir sur les choses.

C'est à la méditation prolongée, à cette activité dense et [libre du loisir, que nous sommes redevables de notre civilisation

toat entière, si affairée, si mortelle à toute vie intérieure.

Bagehot l'exprime dans un beau passage de son livre sur le

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