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658 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la lugubre histoire que son imagination sauvage avait dû inventer pour préserver sa raison du naufrage.

Elle conta, d'abord sèchement, avec peine, ensuite avec tout l'abandon barbare de la terreur, l'histoire de l'homme gris qui était venu pour la première fois l'année où Mr. Almeida s'en fut à Bornéo recueillir des espèces nouvelles d'orchidées.

C'était dur aussi, n'est-ce pas, qu'il fût absent plusieurs mois, laissant une femme seule à la maison, avec les enfants. D'y repenser elle se tordait les mains. Pour sûr, c'était trop dur, c'était au-dessus de la destinée d'une femme. Mais, à ce moment-là, ils étaient pauvres et Mr. Almeida voulait gagner une aisance par son travail. C'est alors qu'il fît cette expédition dont il revint avec trente mille francs d'orchidées, poursuivi par les dajaks, sauvant à peine sa pauvre tête que la lutte avait rendue grise. Au départ Mrs. Almeida lui avait donné une corde neuve en le priant de la porter toujours sur lui, pour l'amour d'elle. Il avait refusé d'abord, il avait assez à trimballer sans cela dans les forêts vierges, mais elle l'avait exigé, comme épouse et comme mère et, voyez- vous, cette corde ne lui avait-elle pas sauvé la vie ? Mais oui, le jour est venu où seule la corde que sa bête de femme lui avait donnée à trimballer, put assurer son salut, voyez-vous ça !

Cependant, elle était seule avec les deux petits. Une nuit, une bande de sales indigènes avait essayé de s'intro- duire dans la maison, entre les lames des jalousies elle avait aperçu des couteaux, alors elle avait tiré un coup de fusil et, le lendemain, elle avait balayé du sang sous la vérandah. Un des ouvriers de couleur occupés au jardin

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