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CHRONIQUE DE CAERDAL 679

Comme il la fait connaître, le sentiment seul fait goûter la vie.

Si la vie n'est pas possible, soit. La conséquence ne va pas plus loin. Un principe n'est pas faux, parce que les suites en sont mortelles pour la pratique. Encore moins une passion, qui se fait pleinement sentir. J'ai toujours ardemment dé- fendu la vie contre la science : mais non, parce qu'elle empêche la vie : parce que la science tue la beauté, et la joie de vivre.

C'est ici de quoi il s'agit, uniquement. La sen- sibilité passionnée fait tout le prix de la vie, quelles que soient d'ailleurs ses erreurs et ses crimes. Au fond, c'est elle qui est toute la musique, et presque toute la poésie. Les arts nous touchent toujours davantage, en ce qu'ils sont de plus en plus musi- ciens. Et la seule philosophie qui vaille, elle-même, est une musique. Le reproche de Tolstoï et de Rousseau, le grief des moralistes ne me touche en rien. Quand la Sonate à Kreutzer serait funeste au commun des amants, elle n'en est pas moins bonne si, en effet, elle est belle. Et peu m'importe que Tristan mène tous les Bavarois au suicide, supposé que ces gens là se missent tous à boire le philtre de mort, à la fin du troisième acte, au lieu d'en- tonner les litres de leur bière sur les litres.

Nous sommes faits pour la vie. Et dans la vie, pour réaliser la grandeur et la beauté de vivre. Mais non pas pour vivre seulement dans une

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