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SEPT HOMMES 819

chaussée. Une foule d'ouvriers, de ménagères et de filles, couperosées ou blêmes, y mène un train d'enfer. Je cher- che une voiture pour m'en éloigner, car ma pelisse m'jr valait de sales coups d'ceil et d'impérieuses propositions, quand je heurte malgré moi un grand garçon qui se re- retourne ; et dans les lumières d'une pharmacie, nos visa- ges s'offrent l'un — rouge — à l'autre — vert.

— Tiens, Ganteux !

— Tiens...

Il cherchait mon nom.

— Tu ne fais plus de peinture ? lui demandai-je.

Il était habillé comme tout le monde, et moi d'en con- clure qu'il délaissait la palette.

— Si, pourquoi ? Cela t'intéresse ?

— Certes.

— Viens à l'atelier. J'attends quelques amis, ce soir. Nous causerons du vieux temps.

C'est ainsi que je pénétrai dans ce groupe de grands artistes, de travailleurs austères, au sein de cette école, alors inconnue, des ombristes. J'en trouvai cinq ou six, ce jour- là, chez Ganteux, à la tenue modeste, aux figures atten- tives et mélancoliques. Ils discutaient avec tranquillité. Nulle tête de rapin ni de bohème. Ni longs cheveux, ni barbe en pointe, ni dolman militaire. J'appris bien vite leur histoire : pour gagner leur pain, et souvent, le pain de toute une famille, ils exerçaient quelque sot métier, — car il en est. Et le temps où les autres hommes rigolent et forniquent, ils le sacrifiaient à leur art, à cette idole qui leur avait donné, grâce unique, savoir et talent. Tout de suite, je les aimai et me promis que ma fortune abattrait la barrière qui, du succès, séparait leur mérite. Trois mois

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