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Page:NRF 8.djvu/862

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854 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

leur ennui, dans le bruit perpétuel de la pendule ! — Je me précipite à la fenêtre : la maison se composait de deux bâtiments perpendiculaires. Et je fouillai, d'un coup d'œil, le grand pan de mur qui tombait à ma gauche. Au cin- quième étage, tout près de moi, trois enfants, trois sœurs, jouaient aux dominos ! Alors, je compris qu'il en serait de même partout, qu'en chaque place où je pourrais me réfugier, la vue de familles heureuses m'attendrait et qu'il faudrait, bon gré, mal gré, vivre dans leur atmosphère, regarder leur paisible trantran, épier leurs moindres actions, dévorer leurs habitudes. Avidement, mes yeux, derrière mes épais rideaux, ont plongé dans cette demeure. Et je ne poursuis d'autre but, je ne nourris d'autre pensée, d'autre désir, que d'assister au repas de mes voisins, que d'entendre le rire des fillettes et le piano grêle qui tinte dans un salon que je n'ai jamais vu.

... Tiens, la bonne entr'ouvre la fenêtre. Elle a trop chaud : son fourneau est rouge. Tout va bien, ils dîneront chez eux, je ne serai pas seul...

Le papa, un ingénieur, appartient à une grande admi- nistration. Je lui donne cinquante ans. Il ne me déplaît pas, avec son gros ventre, sa figure distinguée malgré l'empâtement des traits, avec ses yeux clairs. Et le regard de cet heureux s'éclaircit encore lorsqu'il l'arrête sur ses trois filles, toutes trois adorables : l'aînée fort jolie, — une demoiselle, déjà, — la cadette moins régulièrement bien, — mais la malicieuse moue de ses lèvres! — et la dernière, huit ans à peine, est cajolée comme le bichon d'une prin- cesse. Mais plus que les fillettes, m'attire leur maman : elle est pourtant affreuse, massive, hommasse, avec un teint de brique et des dents de vieux cheval. Il a fait un

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