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868 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pelle-toi... vous mangiez aux mêmes fruits... rappelle-toi les heures passées, côte à côte, à lire, à bavarder, à rêver, surtout, sa tête retombée sur ton épaule... Elle te donnait souvent de menus objets, des fleurs, des gants, des par- fums... Tu les recevais avec ivresse... et tu les as laissés au fond d'un tiroir, dans une chambre d'hôtel ! Naguère encore, tu aurais ricané si le souvenir t'en était revenu. Mais maintenant, dans ce définitif abandon... Et rappel- le-toi aussi comment l'amour se révéla, qui avait éclos en ton cœur, pour ce qu'étant seul avec elle, un matin, muet, les yeux perdus dans son regard, tu sentis des larmes, — ô, de vraies larmes, — sourdre et couler en toi-même ! Ta fiancée, vieux, ta fiancée ! où est-elle ?... qu'en as-tu fait ?... qu'est-elle devenue ?... N'est-ce pas le plus atroce, cette impossibilité de retrouver celle qui, malgré la durée de notre éloignement et le chaos de ma vie, reste le plus près de mon cœur ! Ai-je jamais rien souhaité plus ardemment que de la revoir, ai-je jamais rien voulu avec plus de force ?... Comment, un tel désir n'aurait point le pouvoir de fendre les pierres, de démanteler les murailles et d'arracher Gabrielle aux puissances qui la retiennent ? Un tel désir ne soulèverait pas ces choses mortes ?... Il me semble que je bande vers elle les énergies de ma vie entière...

Je ne la reverrai jamais ! Jamais voix humaine ne me parlera d'elle ! Je dois ignorer quel toit l'abrite, par cette nuit ruisselante où je grimace et me tords sous ma lampe ! Repose-t-elle au fond de la tombe ou aux côtés d'un gros mari ? Epie-t-elle le sommeil de ses petits enfants ? Mais j'ai le droit de le savoir, il faut que je le sache, entendez- vous. .. Morte ou vive, je l'atteindrai bien où elle se

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