912 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
de si vastes desseins, j'aurai peut-être le droit de déplorer que la hâte et la fougue de M. Beauduin ne lui laissent pas le temps de les mûrir et de mener son œuvre à la plénitude définitive, Faudra-t-il toujours répéter que le grand poème n'est pas seulement affaire d'inspiration, ni même, ni surtout de " paro- xysme " mais de patience, d'expérience et d'équilibre, toutes choses qui exigent de l'âge et du temps. A plus forte raison le poème idéologique. Hugo, lui-même, n'eût pas écrit la Légende des Siècles à trente ans, si vague et vide encore que nous paraisse sa philosophie — et c'est une œuvre "successive". Il ne suffira pas à un jeune poète de sentir ses moyens verbaux à la mesure du grand poème, s'il n'a déjà la maîtrise de ses pensées, la maîtrise de ses moyens. Et puis, à voir M. Nicolas Beauduin si prodigue de ce qui naît de lui, j'ai peur qu'il ne disperse tout son trésor avant l'heure, qu'il n'anticipe sur sa destinée et qu'il ne gâche témérairement une matière, qu'il n'osera plus refondre dans l'avenir...
Dans ses vastes sujets je le sens aussi trop à l'aise. Ils ne sont pas pour lui une occasion de contrainte, d'approfondissement, mais d'improvisation et de facilité. Le domaine de ses images étant peu étendu, et même un peu banal, on aimerait qu'il s'en montrât plus ménager ; au lieu d'en appauvrir l'effet en les utilisant dans cent combinaisons diverses, que ne les ramasse-t-il au contraire en quelques traits plus sobres et plus forts ! Il me dira qu'il ne s'exprime pleinement, que lorsqu'on lui laisse du champ, et que le mouvement est l'âme de la poésie. J'en con- viens et je reconnais qu'il possède le don du rhythme. Son vers libre quasi classique, se déroule avec aisance, justesse et variété. Mais ! que ne sait-il résister à l'ivresse de la vitesse ! Quand il advient que la roue tourne à vide, il s'imagine toujours avancer...
Accueillons donc avec plaisir le lyrisme moins déployé du fascicule des Poètes. Dans de petits morceaux intimes M. Beau- duin dit plus, en moins de mots ; déclamant moins, il chante davantage.
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