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Page:Nadar - Quand j'étais photographe, 1900.djvu/300

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le Carrousel, un inextricable dédale de petites rues coupe-gorge, étranglées, noires et humides, Pierre Lescot, du Doyenné, cénacle des romantiques, jusqu’à la rue de l’Échelle, où l’éditeur imagier Auber fonde la dynastie vaillante des Philipon et Martinet-Hautecœur. — La place du Carrousel est sans pavé. Entre les flaques d’eaux croupies et les monticules de boue foulée, hauts parfois d’une bonne aune, des échoppes en planches où on trouve tout pour rien, bahuts et crédences du seizième, coffres de mariages, Durers et Rembrandts de premiers tirages, armures niellées d’or, et l’un, rarissime, des quatre petits flambeaux en faïence du service d’Henry II, acheté là pour quelques décimes, et que Strauss payera à l’hôtel, plus tard, quatorze mille francs sur table, en attendant mieux, etc., etc. : des trésors pêle-mêle, à terre, sous la pluie. Avec des pièces de quarante sous, Dusommerard et Sauvageot sont là en train de monter Cluny et Carnavalet, — Tout autour, des marchands de vin à grandes enseignes, militairement peinturlurées, grenadiers aux bonnets à poils majestueux, coquets lanciers aux plastrons jaunes et shapskas amaranthe. De chaque porte de ces débits de vins, à l’affût comme araignées de leur trou, les limiers du remplacement font leur métier de racoleurs, acheteurs et vendeurs d’hommes, allumant le jobard par le tableau des félicités du service, à en pleurer de tendresse.