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Page:Nadar - Quand j'étais photographe, 1900.djvu/60

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de cane de la porte de malheur. La misère ! — Bien tenu d’ailleurs, ce trou découragé ; tout le peu qui s’y trouve est strictement en place et net au possible, ayant eu, hélas ! le temps d’être essuyé deux fois.

Au comptoir, une femme. — Qu’est-ce qu’elles viennent faire, ces femmes, aux comptoirs des pharmaciens ? Voulez-vous vous en aller de là ! Pas votre place !… — La femme jeune, pas laide sans être précisément jolie, — ce que les connaisseurs dénomment « intéressante » : brune, pâle, fausse maigre, l’orbite embitumé, avant l’âge lassée de tout et de rien, exhalant de la semelle au chignon l’implacable, l’immortel et mortel ennui.

Désespérément, comme hier, comme demain, elle est penchée sur le creux roman-feuilleton de la veille, pareil au roman de l’avant-veille, le même que le roman d’après-demain. C’est là ce que chaque jour, du soir au matin, dénuée d’aliment autre, c’est là tout ce qu’elle broute. Et sa vie passe ainsi, braquée sur ce vide… Deux enfants, deux petites filles, survenues sans perdre une seconde, n’ont rien changé à cela, parties tout droit chez la nourrice.

Et le pharmacien ? — Le pharmacien n’est pas là. Le pharmacien n’est jamais là. Le pharmacien est aux courses, dont un gouvernement de tolérance nous accorda le bienfait quotidien, — ou, s’il n’y est, il y roule sur l’un de ces chars empostillonnés et à cinq chevaux par lesquels s’entassent des figures naïvement cupides ou patibulaires, pigeonneaux et