Aller au contenu

Page:Nadar - Quand j'étais photographe, 1900.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en auvent jusque sur les épais sourcils : front d’acéphale, de mandrill au plus, fournissant bien juste la place pour une maigre idée à la fois. Les petits yeux vrillés, comme sanglants, fuient sous la broussaille, et par le profil bestial, l’analogie passionnelle dépiste tout de suite la mélancolique taciturnité du blaireau. Encore ce gracieux reste-t-il obstinément muet, toujours. — Hé ! que pourrait-il nous dire ?

Comment, en quelle rencontre, par quelles fortuités coïncidentes cet animal peu attractif et aphone a-t-il trouvé à côté de lui, sous sa main et du couvent sortie tout à point la veille, la jeune fille à sac qui lui est nécessaire ? Par quelles combinaisons des siens, quelle stratégie de mines et manigances, quels envoûtements, la bande est-elle parvenue à capter le sac tout modeste qu’il soit, et cette fille si dressée d’avance qu’elle fût à tout accepter de la vie qu’elle ignore, n’ayant pas à elle l’ombre de volonté, attraction ou répulsion, — soumise, inerte comme cire à modeler ? — Et c’est « une demoiselle », tout autrement affinée que nous, paysans ; ça se voit du premier coup d’œil, bien qu’elle non plus ne parle guère ou pas, n’osant.

Il est vrai qu’il y à une tare (— le crocodile au fond de la citerne… —), et le secret est de notoriété publique, comme tous les secrets de famille en province : — cette sœur aînée morte folle.

Mais il ne nous appartient pas de faire les difficiles.