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la chasse au stemmatope mitrée ou phoque a capuchon.

vient leur donner la chasse. À cette époque, les stemmatopes n’étaient pas farouches ; pour les tuer, point n’était besoin de fusils ; on les assommait sur la glace. Cet âge d’or pour les baleiniers fut de courte durée. Les phoques apprirent bientôt à connaître les dangers qui les menaçaient lorsqu’ils voyaient arriver les navires ; à partir de ce moment il ne fut plus aussi facile de les approcher. Il fallut dès lors se servir de fusils et souvent les tirer de fort loin. Non seulement les vieux phoques, mais encore les jeunes étaient farouches ; les premiers ont donc enseigné aux seconds le résultat de leur expérience ; peut-être encore cette crainte est-elle un effet d’atavisme. En tout cas, d’année en année, les stemmatopes sont devenus plus farouches ; très rapidement ils ont appris à se méfier d’un ennemi qu’ils ne connaissaient pas auparavant. L’expérience leur a également enseigné qu’ils étaient particulièrement exposés sur les glaçons voisins de la lisière de la banquise, où jusque-là ils avaient coutume de se tenir, et que, pour être à l’abri des attaques, ils devaient rester au milieu des glaces compactes. Là, il est vrai, ils peuvent être attaqués par l’ours blanc, mais c’est un ennemi moins dangereux que les chasseurs norvégiens.

Une autre explication peut être proposée. Tous les stemmatopes ne sont pas également farouches ; naturellement ceux qui le sont le moins ont été les premières victimes des baleiniers, tandis que les autres, plus sauvages, ont pu échapper au massacre et se reproduire. Par suite, d’année en année, la sauvagerie est devenue par sélection un caractère héréditaire chez ces animaux. Ceci n’explique cependant pas pourquoi ces phoques se tiennent maintenant au milieu de la banquise. Si l’on admet que, lorsque la chasse a commencé dans ces parages, tous les stemmatopes n’étaient pas également farouches, on peut supposer avec autant de vraisemblance qu’à cette époque certains individus recherchaient la glace compacte au milieu du pack tandis que d’autres préféraient la lisière de la banquise. Il s’est également produit un autre phénomène de sélection. Les phoques ayant l’habitude de vivre sur l’iskant ont été décimés, il n’est plus resté que ceux qui vivaient au milieu de la banquise, et qui ont transmis cette habitude à leurs petits.

Quelle est la plus exacte de ces deux explications ? il n’est pas facile