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polaire. Bien souvent, pendant cette détention, je montai au sommet du grand mât pour contempler la côte du Grönland. Cette terre inconnue m’attirait, sa vue remuait mon âme, et du coup je fis le projet d’arriver à cette côte que tant de marins avaient vainement essayé d’atteindre. Dans ma pensée, il était possible d’atterrir en traversant à pied la banquise, si un navire ne pouvait réussir à se frayer un passage au milieu des glaces. Sur-le-champ j’étais prêt à faire une tentative : mais, par mesure de prudence, le capitaine ne voulut pas l’autoriser. De retour en Norvège je publiai un article sur le Grönland oriental dans le Bulletin de la Société royale de géographie de Copenhague (Dansk Geografisk Tidskrift, vol. VIII, p. 76). On peut, écrivais-je, atteindre sans grandes difficultés la côte orientale du Grönland, en pénétrant avec un solide navire au milieu des glaces, puis en achevant à pied la traversée de la banquise. À cette époque j’avais seulement l’idée vague d’avancer un jour dans l’intérieur du pays ; plus tard seulement ce projet prit une forme précise.

Un soir de l’automne de 1885, en écoutant la lecture du journal, mon attention fut tout à coup attirée par un télégramme annonçant l’heureux retour de l’expédition entreprise par Nordenskiöld dans l’intérieur du Grönland[1]. Contrairement à son attente, le célèbre explorateur n’avait découvert aucune oasis de verdure au milieu des glaciers : partout il n’avait rencontré que des champs de neige infinis. Sur cette nappe cristalline, deux Lapons qui accompagnaient M. Nordenskiöld avaient parcouru, en se servant de ski[2], une distance énorme en très peu de temps ; dans cette région, l’inlandsis[3] présentait un terrain excellent pour la marche sur les patins. Ce fut pour moi l’étincelle. Pour traverser le Grönland, il fallait organiser une expédition de patineurs Scandinaves.

  1. A.-E. Nordenskiöld, la Deuxième Expédition suédoise au Grönland. Traduit par Charles Rabot. Hachette et Cie.
  2. Sous ce nom, les Norvégiens désignent de longs et étroits patins en bois, en usage chez tous les peuples habitant le nord de l’ancien continent. M. Nansenen donne plus loin une longue description. Dans cette traduction nous conserverons presque toujours le mot ski, réservant celui de raquettes pour traduire le vocable snesko. (Note du traducteur.)
  3. Nom sous lequel les géologues Scandinaves désignent les calottes glaciaires. (Note du traducteur.)