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À TRAVERS LE GRÖNLAND

« D’autres projets ont été présentés pour traverser l’inlandsis. On a par exemple proposé de franchir ce vaste glacier en ballon ; pareille idée avait déjà été formulée au siècle dernier. Le plan très séduisant de M. Fridtjof Nansen, préparateur au musée de Bergen, ne me semble guère plus sérieux…

« M. Nansen a l’intention de partir de la côte orientale pour se diriger vers les établissements danois du littoral ouest, à l’inverse de ce qu’ont fait jusqu’ici tous les voyageurs, et de traverser le glacier sur des ski. Le projet est certes très original, mais tous ceux qui connaissent le pays doutent de sa réalisation. M. Nansen se propose de traverser à pied la banquise de la côte orientale, en sautant de glaçon en glaçon comme un ours blanc. Une idée aussi singulière ne vaut guère la peine d’être discutée.

« Admettons cependant que M. Nansen réussisse à atterrir sur la côte orientale : il nous paraît bien difficile qu’il puisse dépasser l’extrémité inférieure de l’inlandsis, particulièrement hérissée de pics… M. Nansen a le projet de gravir les hautes montagnes voisines de la côte, et d’avancer ensuite de leurs sommets sur le glacier. Évidemment l’auteur ignore complètement la topographie du pays.

« Ayant vu seulement de la côte l’inlandsis, je n’ai pas les connaissances suffisantes pour discuter le projet de traverser le glacier sur des ski et, surtout, pour formuler une opinion sur la possibilité d’emporter les approvisionnements nécessaires à l’expédition. À mon avis, ce plan peut être exécuté si M. Nansen réussit à franchir la région inférieure de l’inlandsis.

« Pour d’autres raisons, j’ai encore le devoir de m’élever avec force contre ce projet. M. Nansen va de gaieté de cœur s’exposer à se trouver dans une situation difficile. À mon avis, les Danois ne peuvent obliger les Eskimos du Grönland oriental à courir des dangers pour aider ce voyageur à sortir d’embarras. Si M. Nansen, malgré tous les avertissements, persiste dans son idée : si, d’autre part, le navire qui doit le transporter à la côte orientale ne peut atterrir et ne peut ensuite attendre qu’il ait renoncé à son entreprise, il y a dix à parier contre un qu’il périra misérablement avec ses compagnons, ou bien qu’il devra chercher un asile chez