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au nord le long de la côte orientale.

détachent sont relativement petits. D’autre part, on ne voit devant le Puisortok aucun grand isberg ; la mer est trop peu profonde pour que des glaçons de cette taille puissent se rencontrer sur ce point. Enfin, ce glacier n’est pas assez puissant pour descendre sur tout le périmètre de son front jusqu’à la mer. En plusieurs endroits, le sous-sol sur lequel il repose est visible.

Graah et avant lui d’autres auteurs, Wallöe, par exemple, signalent la crainte que le glacier de Puisortok inspire aux indigènes. A chaque instant, prétendent les naturels, il s’en détache des fragments qui culbutent les embarcations ; de plus, au large, de grosses masses de glace montent des profondeurs à la surface de la mer et font chavirer les malheureux qui se hasardent dans ces parages. Le nom de Puisortok est d’ailleurs caractéristique ; il signifie un endroit où quelque chose émerge. Cette dénomination se retrouve sur plusieurs points de la côte orientale, et il n’est pas facile de savoir au juste son sens précis. Holm et Garde rapportent également que leurs équipages grönlandais manifestaient une crainte superstitieuse de ce glacier. Les Eskimos du district de Julianehaab, raconte Garde, croient que, pour passer le Puisortok, il est nécessaire de ramer au pied d’une muraille de glace branlante et au-dessus de glaçons immergés qui peuvent remonter à la surface de la mer et renverser les canots. Les habitants de la côte sud-ouest ont appris ces légendes des indigènes de la côte orientale. Ces derniers ont une série de règles dont l’observation est nécessaire pour éviter un accident devant le glacier. On ne doit ni parler, ni crier, ni manger, ni fumer, ni priser, quand on double le glacier ; on ne doit pas non plus le regarder, ni le nommer ; sinon il se met en colère, et mort d’homme s’ensuit.

En tout cas, la mauvaise réputation du Puisortok n’est pas justifiée. Il constitue, je crois, un glacier local situé sur une montagne séparée de l’inlandsis par une vallée couverte de neige. C’est là la raison de son faible mouvement[1].

Ce glacier est large de 5 kilomètres, d’après le calcul du lieute-

  1. Le mouvement d’écoulement de ce glacier, mesuré par le lieutenant Garde, est de 60 centimètres par vingt-quatre heures. Sa forme et sa forte pente sont des preuves que ce glacier est distinct de l’inlandsis.