Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/198

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Quel spectacle et quelle odeur ! Les récits des voyageurs nous avaient bien appris que les Eskimos de la côte orientale avaient l’habitude d’être peu vêtus dans leurs tentes et que l’air de ces habitations ne fleure pas précisément la rose ; mais que ce fût à ce point, nul d’entre nous ne se l’était imaginé. La puanteur était épouvantable, l’odeur de l’huile dominait, et à celle-ci s’ajoutaient les exhalaisons des habitants et de certain liquide soigneusement conservé : par respect pour le lecteur, je ne puis en dire plus long. On s’accoutume cependant rapidement à ce milieu, peut-être même finit-on par le trouver agréable. Tout le monde n’est cependant pas capable de cette adaptation, et plusieurs d’entre nous ne firent qu’un court séjour dans la lente.

Pour mon compte, l’odeur ne m’incommodait pas au point de m’empêcher d’observer ce qui se passait autour de moi. J’étais entouré de gens nus, les uns assis, les autres couchés ou debout. Tous portaient simplement autour des reins le natit, un mince ruban, particulièrement étroit chez les femmes. Les représentants du beau sexe étaient en outre parés d’un second ruban autour de la touffe de cheveux proéminente au sommet de la tête. Quelques hommes mettent également des ornements de ce genre dans la chevelure et autour de la poitrine. Chez ces gens, aucune honte de se montrer nus ; le naturel avec lequel ils se livrent à leurs’occupations dans le costume paradisiaque nous paraît fort étrange à nous autres civilisés.

Au milieu de toutes ces nudités, les Lapons avaient une mine fort embarrassée. Voici qu’une jeune mère arrive, se déshabille et grimpe sur le lit près de son enfant également nu, et s’accroupit pour lui donner le sein. Toute personne un tant soit peu libre de nos préjugés aurait été touchée par cette scène d’amour maternel. La pauvre femme reste longtemps dans cette position, puis, sentant le froid, ramène sur elle et son marmot un beau tapis de peau de phoque, bordé d’une belle peau blanche de fœtus de cet animal.

D’autres indigènes arrivent bientôt et remplissent la tente. On nous a fait asseoir sur des boîtes placées le long du rideau à l’entrée de la tente. C’est la place des visiteurs ; les habitants, eux, s’assoient sur le lit qui occupe le fond de la tente. Ce lit, fait de planches et