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a travers le grönland.

Dans la journée, nous nous arrêtons pour prendre un peu de nourriture. Les Eskimos, qui, eux, ont l’avantage de pouvoir rester longtemps sans manger, continuèrent leur route. Deux d’entre eux restèrent cependant avec nous pour jouir de l’intéressant spectacle d’un repas d’Européens. Il eût été vraiment trop cruel de ne pas les faire participer à notre festin, et pour satisfaire leur curiosité gourmande je leur donnai quelques morceaux de biscuit. Avec quelle joie ils les reçurent, les pauvres gens !

Peu de temps après nous être mis en route, nous apercevons nos amis, qui n’ont qu’une petite avance sur nous. Deux d’entre eux étaient occupés, du haut d’une montagne, à observer la mer dans la direction du nord. C’est mauvais signe : la banquise est sans doute impénétrable en avant. Entre temps le ciel s’est obscurci et la pluie a commencé à tomber ; nous revêtons alors nos imperméables et continuons notre marche. Mais voici que les oumiaks virent de bord et se dirigent vers nous. Dès qu’ils sont arrivés à portée de voix, toutes les batelières nous montrent le ciel, et les hommes nous font comprendre par signes que la banquise est compacte plus au nord. Tous manifestent le désir de camper en attendant un changement favorable dans l’état de l’atmosphère et des glaces. À mon tour je leur explique par une pantomime animée que je veux poursuivre ma route. Avant de risquer l’entreprise je tiens à m’assurer de l’état du pack, et dans cette intention nous nous dirigeons vers la terre pour gravir un rocher. De là nous saurons à quoi nous en tenir. Un indigène s’attache à mes pas et déploie en pure perle toute son éloquence pour me prouver qu’il est impossible d’avancer. Du sommet d’un promontoire je reconnais à la lunette que les glaces ne présentent pas une mauvaise apparence, et tout de suite nous continuons notre chemin, tandis que les indigènes restent en arrière. L’orateur eskimo paraît fort contrarié de celle détermination ; pour adoucir ses peines je lui fais cadeau d’une boîte de conserves vide.

Les menaces de mauvais temps avaient déterminé les Eskimos à s’arrêter. Les indigènes n’aiment guère à recevoir la pluie, les femmes surtout, leurs vêtements en peau n’étant pas précisément agréables lorsqu’ils sont mouillés. Naturellement ils avaient cherché à nous dissuader de poursuivre notre route ; notre société était pour