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nouvelle entrevue avec les eskimos

leur physionomie devient radieuse. Bientôt après arrivent d’autres hommes ; ils étaient, paraît-il, à la chasse et avaient été rappelés par les cris des femmes.

À tous les nouveaux arrivants on s’empresse-de montrer notre beau cadeau ; tous déclarèrent sans doute que nous étions des Mécènes. Le plus amusant de la bande était un petit vieillard, un nain à la face ratatinée et à la mine souriante. Ayant amarré les canots, nous allons à la découverte. Derrière un monticule, il y a lotit un campement caché par ce mouvement de terrain. À côté d’une lente un drapeau danois est hissé sur une petite perche, probablement un présent du commandant Holm quelques années auparavant. Il est curieux que ces indigènes, qui ont déjà vu des Européens, aient pris peur à notre approche ; il est vrai que nous naviguons dans des canots en bois, tandis que l’expédition danoise avait des embarcations grônlandaises et des équipages indigènes.

Peut-être la défiance est-elle causée par le souvenir des légendes. Les Européens, racontent les indigènes, ont été jadis massacrés par leurs ancêtres et ces gens craignent toujours de voir arriver par la grande mer des étrangers pour venger la mort des Kavdlounaks[1]. À l’aide du dictionnaire je demande de la viande de phoque séchée. Je désirais goûter ce mets gronlandais et d’autre part pouvoir constituer un dépôt de vivres au point où nous commencerions l’escalade de l’inlandsis ; malheureusement, comme cela nous arrive toujours, aucun indigène ne nous comprend. J’avise alors un quartier suspendu à l’entrée d’une lente et le montre ; tout de suite un indigène nous en apporte un morceau. En récompense je lui donne une grande aiguille ; dès qu’on a vu le précieux cadeau qu’il a reçu, c’est à qui nous apportera de la viande pour recevoir en échange des aiguilles.

Ravna ne voulut en accepter aucun morceau, en dépit de nos sollicitations. Dans son idée, c’était voler les indigènes que de leur donner une aiguille en échange de celle viande.

Balto raconte cette rencontre dans les termes suivants :

« Après avoir traversé l’embouchure d’un fjord, nous sentîmes une forte odeur de lard de phoque. À notre approche les païens

  1. Européens.