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Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/242

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a travers le grönland.

que nous tenions tendue entre nous, de manière à pouvoir soutenir celui qui aurait la mauvaise chance de tomber.

Plus nous avançons et plus profondément nous enfonçons dans la neige. En certains endroits celle neige masque complètement les crevasses, il faut par suite marcher avec précaution et sonder le terrain avec le bâton ferré avant de faire un pas, de crainte de culbuter dans une de ces chausses-trapes. Souvent les ponts jetés sur ces gouffres ont seulement une épaisseur de quelques centimètres. Vous trouvez-vous sur une de ces fragiles passerelles, vite il faut reculer et retrouver la glace ferme pendant que votre camarade soutient la corde pour vous arrêter si le pont vient à se rompre.

Nous eûmes la chance de ne pas faire de chutes dangereuses. À plusieurs reprises nous enfonçâmes jusqu’aux épaules en sentant les jambes ballotter dans le vide de la crevasse. Pour éviter cette région accidentée, nous inclinons vers le sud ; dans cette direction le névé est mou, épais, et les fentes moins nombreuses. N’ayant pas besoin de prendre ici de grandes précautions, nous pouvons marcher à grands pas. Bientôt les crevasses disparaissent complètement ; par contre, nous enfonçons de plus en plus dans la neige. Comme nous regrettons de ne pas avoir emporté nos ski ou tout au moins les raquettes canadiennes ! Nous avions bien les raquettes norvégiennes, mais leur manque de largeur empêche de les employer avec avantage sur ce névé.

La pente est très régulière depuis le dernier pointement rocheux (125 mètres). Devant nous, au nord-ouest, s’élève un monticule qui nous paraît un excellent belvédère au-dessus de l’inlandsis, mais il est encore loin et le névé toujours détrempé. Nous commençons à sentir la faim, et comme la journée n’est pas encore très avancée, nous faisons halte pour prendre une collation. Nos raquettes norvégiennes forment un excellent siège, et, tout en mangeant, nous nous chauffons au soleil. Le temps est magnifique, mais la réverbération des neiges nous incommode, d’autant plus que nous avons oublié nos lunettes en verre fumé.

Vers le sud, le large glacier étend jusqu’à la mer sa nappe brillante déchirée de crevasses et hérissée d’aspérités. En dessous il doit