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a travers le grönland.

durant la nuit, chute de neige. Le soleil luit sur l’infinie plaine blanche ; sous cette belle lumière les cristaux de glace brillent comme des diamants. Dans l’après-midi, un vent piquant du nord-ouest s’élève en soulevant sur l’inlandsis des tourbillons de fine poussière neigeuse. C’est un chasse-neige. Le ciel se découvre et le froid devient plus vif. Le thermomètre s’abaisse à —19° C. Le vent augmente toujours et souffle bientôt en tempête. Il n’en faut pas moins continuer la route, au prix de quelles souffrances, vous le devinez ; les plus minutieuses précautions deviennent nécessaires pour éviter les congélations.

Tout à coup je m’aperçois que j’ai le nez gelé ; en le frictionnant avec de la neige je parviens heureusement à rétablir la circulation. Au moment où je me crois sauvé, je suis « pincé » au cou ; nouvelles frictions avec de la neige, suivies également d’un bon résultat. Je ne suis pas encore à la fin de mes maux : le froid me cause maintenant de violentes douleurs abdominales ; Sverdrup n’est pas. dans un meilleur état, et ceux qui marchent derrière nous doivent également beaucoup souffrir. Avec quel plaisir ce soir-là nous entrons dans la tente et mangeons un excellent ragoût bien chaud !

Le lendemain matin le vent est tombé. Dans l’après-midi voici de nouveau la tempête. Toute la journée et toute la nuit suivante l’ouragan continue ; au début il souffle du sud-ouest, puis peu à peu il descend au sud. Demain nous pourrons probablement faire de la voile. Cette espérance nous réjouit tous. Hélas ! le lendemain matin, 6 septembre, calme presque complet. Dans l’après-midi le vent s’élève de nouveau. À midi il vient en plein du sud. Je songeai alors à faire hisser les voiles sur les traîneaux, mais mes compagnons ne furent pas de cet avis ; la pensée d’établir le gréement ne leur souriait guère. Combien je regrettai de n’avoir pas insisté, lorsque dans l’après-midi la brise augmenta de force en remontant vers l’est ! Maintenant elle souffle en tempête de l’est-sud-est et même de l’est. Nous filons rapidement vers l’ouest, poussés par ce vent arrière et entraînés par la pente, assez sensible dans ces parages. L’air est obscurci par d’épais tourbillons de neige : à vingt pas nous ne distinguons rien ; pour que la queue de la colonne ne vienne pas à s’égarer, nous sommes obligés à des haltes fréquentes.