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a travers le grönland.

jusqu’au moment où le souper sera prêt. Ce ne fut qu’après lui avoir commandé bien des fois ce service que notre homme se décida à l’accomplir sans attendre que je lui en eusse donné l’ordre.

Pendant notre voyage à travers l’inlandsis, les heures les plus agréables étaient sans contredit celles que nous passions le soir sous la tente, autour de la lampe, accroupis sur nos sacs. Avant d’entrer dans notre chambre à coucher, chacun devait secouer soigneusement ses vêtements pour ne pas y apporter de neige. Quels qu’eussent été les fatigues de la journée, le froid et les difficultés, toutes ces peines étaient oubliées une fois que nous nous trouvions à l’abri.

Lorsque le repas est servi à la lueur tremblotante de notre bougie, nous sommes les gens les plus heureux du monde. Après le souper on nettoie le bidon qui a servi à la cuisine, on le remplit de neige, puis on casse le chocolat, de manière que tout soit prêt pour le déjeuner du lendemain. Cela fait, on se glisse dans les sacs, on les ferme le plus hermétiquement possible et bientôt on s’endort.

Toutes les questions relatives à la nourriture tenaient une large place dans nos pensées. Le plus grand plaisir que nous eussions pu avoir aurait été de manger à notre faim ; le lard surtout était l’objet de nos désirs les plus ardents ; comme je l’ai dit plus haut, nous n’avions emporté qu’une petite quantité de graisse. Chacun de nous recevait par semaine une ration de 250 grammes de beurre ; aussi longtemps qu’il nous en resta, rien ne nous sembla aussi bon que d’en avaler de gros morceaux. Pour quelques-uns, le plaisir ne durait pas longtemps : Kristiansen mangeait toute sa ration le premier jour.

Nous avions une telle envie d’aliments gras que Sverdrup me demanda un jour à boire l’huile servant au graissage des chaussures.

Toutes les rations étaient soigneusement pesées. Elles étaient d’un kilogramme par jour et par homme. Quand nous approchâmes de la côte occidentale, la viande séchée fut laissée à discrétion, néanmoins nous ne parvînmes jamais à satisfaire notre faim. A notre retour en Norvège, on demanda un jour à Balto s’il n’avait jamais été rassasié. « . Non, répondit-il, j’avais toujours faim. Vous en souvient-il, dit-il en s’adressant à Sverdrup, un jour, lorsque nous