Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
a travers le grönland.

Sur l’inlandsis une denrée presque aussi recherchée que le beurre était le tabac. Un de nous offrit un jour 2 fr. 80 pour une seule pincée de cette précieuse substance. La petite ration distribuée chaque dimanche était reçue avec une joie que je ne puis décrire. Toutes les fatigues étaient alors oubliées et tous les visages souriants. Que de précautions on prenait pour ne pas en perdre la plus petite parcelle ! On fumait d’abord le tabac avec recueillement, puis, une fois la pipe vide, on essayait de tirer quelques bouffées de la cendre ; pour prolonger le plaisir, les enragés en arrivaient à brûler le fourneau de leur pipe. Après cela il y en avait pour une semaine. Les incorrigibles fumaient dans l’intervalle des débris de corde et de la ficelle. Nous n’avions pas de chique, et plusieurs d’entre nous y suppléaient en mastiquant de gros morceaux de corde. Pour faciliter la salivation je mâchonnais pendant la marche des morceaux de bois, surtout du merisier, dont étaient faites les raquettes norvégiennes. Je ne saurais dire le plaisir que nous trouvions dans ces chiques d’espèce inusitée jusqu’alors.


PESAGE DES RATIONS SUR L’INLANDSIS.
(DESSIN D’A. BLOCH, D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.)